Extrait de la "Gazette des Tribunaux" du 1er février 1852
On lit dans le « Journal des Landes » :
Le condamné, malgré le peu de chances de succès, qu'offrait le crime atroce dont il s'était reconnu l'auteur, l'assassinat de cinq personnes, s'était pourvu en cassation et en grâce.
La Cour de cassation avait depuis plusieurs jours statué par un rejet. Les événements politiques avaient seuls enrayé toute décision relativement au recours en grâce. On apprit cependant, samedi dernier, que l'arrêt serait exécuté le sur lendemain 20 janvier, sur l'une des places de la commune d'Arjuzanx.
M. l'abbé Pailhès, aumônier des prisons, s'occupait sans relâche, depuis la condamnation de Macque, de relever ce misérable, à l'aide de la religion, de l'étal de sauvage et brutale férocité dans lequel il était tombé, il put lui administrer le saint viatique samedi pendant l'office divine offert à son intention en présence de tous les hôtes de la prison. Dimanche, M° Suverbie, qui avait prêté à Macque l'appui de sa parole, s'entremit, dans un but d'intelligente charité, pour obtenir qu'on ne prévînt le condamné que quelques minutes avant son départ pour Arjuzanx. Le départ avait été, fixé pour le lundi matin, à quatre heures.
Vers trois heures, le concierge Lafont fut réveiller Macque sous un vain prétexte, et quelques minutes après il l'invita à descendre à la geôle, en lui disant que trois ou quatre personnes demandaient à lui parler ; ce ne fut qu'au moment de l'introduire dans le parloir, qu'il lui révéla l'affreuse vérité.
« Comment ! s'écriât Macque, c'est aujourd'hui qu'on va me couper le cou ? - Oui, répondit le concierge - Allons, à la volonté de Dieu! »
Macque trouva dans le parloir l'abbé Pailhès, qui devait raccompagner à Arjuzanx, M. le commissaire de police, M. Barbo, commis-greffier, chargé de lui notifier le rejet de ses pourvois; le maréchale-des- logis et le brigadier de gendarmerie et les deux exécuteurs. Là il se plaignit de ne pas avoir été prévenu plus tôt, et témoignât la plus grande résignation n'exprimant q'un seul regret celui de ne pas voir ses parents. Il s'habilla, se livra a de nombreuses ablutions, se parant comme il eût pu le faire pour aller assister à une fêle, et réunit avec soin dans un paquet tous les effets qu'il ne pouvait porter sur lui. Il demanda à prendre des aliments, mangea quelques bouchées, but quelques verres de vin, un petit verre d'eau-de-vie,et déclara qu'il était prêt à partir.
M. le commissaire de police, spécialement délégué par M. le procureur de la République, s'avança alors et dit au condamné : « Vous allez dans quelques moments paraître devant Dieu; aucun motif, aucun prétexte, ne peut plus vous empêcher de dire toute la vérité; vous êtes soupçonné d'avoir pris part à l'assassinat commis à Arjuzanx, en 1850, sur la personne du nommé Fourcet, d i t Pater, êtes-vous l'auteur de ce crime? Non, répondit sourdement le condamné. » Puis, se tournant aussitôt vers son confesseur : « Venez-vous avec moi, monsieur l'abbé? — Oui, répond celui-ci. — Oh ! alors, c'est bon ! »
Macque ne laissa pas percer sa physionomie pendant la scène que nous venons de raconter, la moindre trace d'impression quelconque. Sa figure était telle qu'elle était pendant les débats de la Cour d'assises, un masque inerte qui ne permet jamais à la pensée de venir s'y refléter.
Le moment du départ étant venu, Macque fit ses adieux au concierge et aux guichetiers avec son impassibilité ordinaire ; il monta dans la voiture cellulaire qui devait le transporter avec le digne abbé Pailhès et les deux exécuteurs, réclama son paquet, tout comme s'il partait pour un voyage ordinaire; quatre heures et demie sonnaient lorsque le triste cortège se mit en marche, sous l'escorte d'une brigade de gendarmerie.
À Saint Martin et à Ygos, M l'abbé Pailhès, qui à rempli à pénible mission avec ce dévouement intelligent et complet que peut seule inspirer la religion, fit donner au condamné un peu d'eau-de-vie et de tabac. Il était un peu plus de dix heures lorsqu'on arriva à Arjuzanx . On savait dans toute la Lande que l'expiation aurait lieu sur le théâtre du crime. On avait connu quel jour avait été fixé pour l'exécution. Une population considérable s'était rendue de tous les points pour être témoin du châtiment, conséquence légitime du terrible drame qui avait glacé d'épouvante toute légitime une contrée aux moeurs simples et paisibles. Ce n'était pas une vulgaire et cruelle curiosité qui avait attiré la foule, c'était un besoin bien senti de s'assurer de l'accomplissement de l'arrêt dont la rigueur avait donné satisfaction à des voeux unanimes.
Qu'on veuille bien se rappeler que la commune d'Arjuzanx avait déjà été à quelques mois de distance, le théâtre de deux crimes commis d'une manière atroce avec le même instrument, la hache. La justice avait été impuissante dans la répression du premier de ces crimes. L'assassinat du nommé Fourcet, dit Pater, tué de cinq coups de hache, au moment où il sortait à une heure peu avancée de la soirée d'une auberge où il avait passé la journée, était demeuré impuni. Une instruction tres longue avait été suivie contre les Frères Loubère et le nommé Bruzocq. Ces trois individus ont subi un jugement devant la Cour d'assises des Landes ; un verdict d'acquittement les avait rendus à la liberté. Lorsque le crime atroce de Milianah fut commis, toutes les pensées se reportèrent sur l'assassinat de Fourcet; était-ce la même main familiarisée avec la hache qui avait commis les deux crimes ?
Telle était la question qu'on s'adressait, lorsque Macque se reconnut coupable du dernier.
Pendant l'instruction minutieuse et consciencieuse à laquelle a donné lieu son procès, on sut que Macque avait passé la soirée avec Fourcet, le jour de sa mort tragique, et qu'il n'avait quitté l'auberge que quelques minutes avant la victime. On recueillit seulement alors des renseignements qui ne permirent plus a la justice de douter que Macque ne fut l'auteur de l'assassinat de Fourcet et l'auteur avoué de l'horrible boucherie de Milianah. M. le président Bouvet pressa Macque de questions pour le déterminer a confesser le premier crime, comme il avait confessé le second. Macque résista à toutes les sollicitations.
Dès son arrivée à Arjuzanx, Macque, cédant sans doute aux pieuses exhortations de M. l'abbé Pailhès, a fait appeler M. le juge de paix d'Arjuzanx, et lui a révélé « qu'il avait commis, seul et sans aucun complice, l'assassinat de Fourcet dit Pater. »
Procès verbal de cette déclaration a été immédiatement dressé. Puisse le retentissement que nous nous faisons un devoir de lui donner, aider à la réhabilitation morale de trois personnes faussement accusées, et qui n'ont, nous a-t-on assuré, échappé à une condamnation qu'à une voix de majorité!
Revenons à notre funeste relation Macque, cet être anormal, demande à manger (il n'avait pu manger que la moitié d'une saucisse) lorsque les exécuteurs viennent le prendre pour la fatale toilette. Il demande qu'on le laisse vivre jusqu'à deux heures, afin qu'il ait le temps d'achever sa saucisse ; sur ses vives instances, et comme il avait les mains attachées derrière le dos, les exécuteurs lui font achever son repas.
La dernière heure a sonné, il est midi et demi. Macque déclare qu'il fera de pied le trajet qui sépare l'échafaud de la prison dans laquelle on l'a dépose.
Le pieux ministre de la divine miséricorde est toujours à ses cotés. Rien d'ému, rien de chancelant dans la démarche du condamné. Il monte résolument les degrés de l'échafaud avec son confesseur. Tous deux s'agenouillent. Macque baise une dernière fois le Christ, il se relève, recommande à la foule, pendant qu'on l'attache à la planche, de prendre exemple sur lui, de ne pas faire comme lui .
Une minute après, l'expiation était consommée! Ce n'est qu'alors que le digne et admirable prêtre consent à descendre les degrés de l'échafaud.
Encore reste-t-il pour attendre la dépouille sanglante, qu'il accompagne jusqu'à la fosse, ne cessant d'implorer l'ineffable bonté de celui qui seul peut tout pardonner.